Si je crois avoir toujours dessiné, c’est peu à peu qu’une forme de peinture particulière s’est imposée à moi, abstraite, énigmatique, colorée, complexe, à laquelle je m’efforce de donner une certaine cohérence, à défaut de sens. Elle consiste en entrelacs plus ou moins aléatoires réalisés au crayon ou au feutre, chacun définissant une multitude d’espaces clos que je peins à l’huile, à l’acrylique ou au feutre avec un choix de couleurs lui aussi plutôt aléatoire et toujours nuancé ou ombré.
 

Je suis lent, méticuleux, laborieux même, irrégulier, dispersé, indiscipliné, et aime à me perdre dans des épreuves fastidieuses qui m’accaparent parfois plusieurs mois, les yeux rivés sur un pinceau, un couteau, un stylo feutre, sans trop savoir où je vais, laissant le plus souvent le hasard décider du sort d’une toile.
 

Il se pourrait que les motifs marocains qui ont été le décor de ma petite enfance soient une explication à revenir sans cesse à ces traits qui vont en boucles, en figures géométriques, en spirales, en escaliers, en labyrinthes ... et j’ai gardé de ma scolarité quelques exercices de dessin qui m’ont profondément marqué et donc tout aussi influencé. Quoi qu’il en soit, avec ces lacis de lignes ininterrompues et ces couleurs je créé un univers purement formel et dénué de toute représentation et intention, car mon souhait est de susciter imagination et abandon aux rêveries, comme le font les nuages lorsqu’ils prennent les formes des objets et créatures qui peuplent nos vies. C'est aussi pour cette raison que je présente mes "Sculpures (presque) naturelles", puisqu'elles viennent de ces bois et pierres qui nous interpellent par leur expressivité selon notre curiosité.

 

Si cette manière de regarder est une facilité pour les enfants, elle est bien souvent moins immédiate chez les adultes conditionnés par les formatages successifs de l'éducation et de la vie en société. Mais il faut que nos regards se libèrent de ces contraintes pour se prêter à toutes les découvertes possibles. Alors quand la rêverie conduit à cette liberté d’interprétation devant un de mes tableaux je me dis l’avoir peut-être réussi. En tous cas c’est comme cela que j’aime que mes peintures ne soient pas simplement regardées mais observées, scrutées, avec autant de subjectivité et de naïveté que chacun le peut.


Etienne PHILIPPE